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Le phare, voyage immobile

Année de parution :
2015
1 vol. (162 p.) : 23 cm
Publication
Paris : Hoëbeke, DL 2015
Langue originale :
français,italien
Langue du document :
français
C'était ce qu'on appelle une nuit pourrie. Je gravissais le sentier à pic au-dessus de la mer, luttant contre les rafales, et dans l'obscurité il fallait poser les pieds avec circonspection. L'orage arrivait de l'ouest, la foudre mitraillait un promontoire éloigné aux faux airs de tortue. J'avais débarqué in extremis : avec ce temps de chien, allez donc savoir quand l'endroit serait de nouveau accessible. J'étais seul, je ne connaissais pas la route du phare et l'île était déserte. À des milles à la ronde, le reste de l'archipel était englouti dans le noir et la bruine. Pas une lumière en vue, rien. Je ne me rappelle pas en quelle langue je criai - «Je suis là, je monte, quelqu'un pourrait-il venir à ma rencontre ?» - mais seul le tonnerre des brisants me répondit. Des gardiens du phare, je ne vis pas l'ombre. Il se mit à pleuvoir et alors seulement apparut, cent mètres plus haut, le faisceau lumineux. Je cherchai la lampe des yeux et ce que je vis me laissa coi. Depuis le bord de l'escarpement, la tour s'inclinait vers moi, tordant sa puissante construction de pierre. De son oeil unique de cyclope, elle cherchait l'intrus. Il y avait des éclairs, mais la source de lumière était justement noire comme de la poix, plus noire que la nuit. Toute à sa colère, elle continuait de me chercher, mais elle ne m'avait pas encore repéré. Le faisceau passait et repassait, assénant des coups de sabre de plus en plus proches. Je me blottis dans la bruyère et aussitôt un de mes pieds buta contre une racine, je tentai de m'agripper aux buissons, mais je perdis prise. Je dégringolai. Peut-être voulus-je crier, mais ma voix refusa de sortir. Un coup de vent me réveilla en sursaut. J'allumai ma lampe de poche, éclairant une chambre nue, blanchie à la chaux, des murs épais, une table de nuit, un livre, un cahier, une valise contenant mes affaires, une vieille fenêtre peinte en vert, aux volets barricadés. Dehors, le vent fraîchissait, passant du sirocco au libeccio. J'étais dans la machine à lumière, dans sa panse, tel Jonas dans le ventre de la baleine. Ce n'était encore que ma première nuit, mais déjà le Cyclope s'était emparé de moi. Il contrôlait mes rêves. J'étais en sûreté dans ma chambre, sous trois couvertures de laine, mais, si je tendais l'oreille, j'entendais cliqueter, tout en haut de la tour, l'engrenage qui régissait la rotation de tout l'appareillage optique. Un arpège métallique, semblable à celui d'un piano désaccordé, mais capable d'entonner un duo avec le vent.